Ici nous ne ferons pas l'histoire d'un espace qui un jour s'appellera
la Slovénie ; nous ne ferons l'histoire de ce pays que lorsqu'il sera
peuplé de slovènes, donc pas avant le milieu du VI° siècle. Le paléolithique,
le néolithique, l'empire romain, c'est passionnant pour l'histoire des
lieux, mais est-ce vraiment consubstantiel à l'histoire de ce peuple
migrant ? La latinité si un jour elle a touché les Slovènes, c'est sous
la forme religieuse du catholicisme, les légions romaines c'était
pour d'autres, bien avant que ce petit peuple slave arrive. Que savons-nous
des slovènes avant leur arrivé en " Slovénie " ? Pas grand
chose. Peut on même parler de slovènes ? Etaient ils si différents des
autres slaves du sud ? Les réponses sont difficiles à trouver.
Entre 500 et 1000, l'Europe est durablement bouleversée ; Rome a disparu,
même si beaucoup vont courir encore après sa grandeur, ses titres, sa
gloire (Charlemagne !) ; elle ne subsiste plus qu'en orient, une "
Rome " byzantine, chrétienne, splendide, mais bientôt secouée par
la poussée de l'islam. D'autre part, des peuples pour des raisons complexes(climatiques
? Démographiques ? La peur d'autres peuples plus belliqueux ? ) s'insinuent
dans le continent, s'y fixent. L'Europe devient notre Europe. Les slaves
bousculent tout l'est du continent. Les Polonais, les Sorabes, les Tchèques,
les Slovaques, les Croates, les Serbes, les Slovènes enfin, un magma
de migrants pas forcément aussi clairement identifiable que cette liste,
pourrait le laisser croire. C'est la rencontre avec une géographie,
avec d'autres peuples, qui forme une identité. Byzance qui domine l'orient,
hésite dans sa politique à tenir face à ses nouveaux arrivants. Tantôt
c'est la guerre, tantôt ce sont des tentatives de domestications. Les
Slovènes avancent eux jusqu'aux Alpes. Ils s'y fixent. Mais à la différence
de beaucoup d'autres peuples slaves ne trouveront jamais vraiment les
conditions historiques et politiques de constituer un état, même vassal,
plus fort qu'eux. Très vite c'est la domination bavaroise ou franque.
L'empire de Charlemagne, intègre la zone de peuplement slovène dans
ses marches orientales, qui protègent le cœur de l'édifice carolingien.
Des soubresauts de la succession du grand Carloman, retenons pour les
Slovènes leur intégration dans la mouvance germanique, et bien vite
dans le saint empire romain germanique(962). Nous sommes au X° siècle,
les jeux sont faits pour mille ans. Cet empire qui prétend à l'universalité,
va trouver sur son chemin bien d'autres prétendants à cette universalité,
prétendants qui l'affaibliront pendant tout le moyen âge. Le pape qui
veut le monopole des âmes, le monopole de la vérité avec l'orient, et
quasiment le pouvoir dans l'empire " allemand ". Le roi de
France qui veut être " empereur " chez lui et qui le sera
; et plus grave que tout cela, l'aristocratie féodale de l'empire qui
va émietter le pouvoir impérial. Des princes, des ducs, des comtes(ceux
de Celje par exemple)des margraves, des évêques feront payer cher à
l'empereur leur fidélité, très cher ! Lui prenant petit à petit tout
son pouvoir, sauf le symbole de sa fonction qui disait-on participait
d'un dessein divin.
Parmi ces féodaux, ces princes locaux, les Habsbourg, originaires de
" suisse ", mais d'une Suisse d'avant la Suisse puisque nous
dit la légende qui s'est longtemps confondue avec l'histoire, la Suisse
date de la fin de la domination des Habsbourgs entre l'Aar, le Rhin
et le lac de Lucerne. Les Habsourgs donc ! Ils perdent leurs domaines
helvètes mais presque au même moment gagnent(héritage, politique des
mariages)Tyrol, Styrie, Carniole. Carniole, la voila notre Slovénie,
déjà " germanique " et maintenant Habsbourgs(1282) et cela
jusqu'en 1918 ! Le sommet de la société est allemande, la base, à hauteur
de terre est slovène. Certes rien de grave dans cela, car ce qui comptera
jusqu'a la révolution française, c'est la légitimité du pouvoir, et
non pas " l'ethnie " ou " l'idée " qui nous gouverne.
Des paysans donc les Slovènes autour de châteaux de princes laïcs ou
ecclésiastiques, des petits nœuds urbains aussi(Kamnik, Kranj, ptuj,
etc) qui au XII°siecle obtiennent leurs chartes, leur autonomie, premier
signe de la modernité médiévale.
Résumer l'histoire des slovènes dans l'empire des Habsbourgs est une
gageure. La Carniole (les confins) est une province d'un puzzle de plus
en plus grand, que seule la personne du souverain unifie. Chaque province
a sa forme d'autonomie, de tradition fiscale par exemple, autonomie
des noblesses bien sûr. Les peuples eux travaillent, et prient. La prière
est catholique romaine, depuis le VII°siecle et le restera toujours.
Prière en latin, parfois en slovène, mais il faudra attendre 1584 pour
qu'une Bible slovène soit écrite. La Carniole et la Styrie connaîtront
toutes les vicissitudes de la maison d'Autriche, solide malgré les apparences,
malgré les Turcs qui font des incursions en Slovénie aux XV° et XVI°
siècles, malgré les progrès de la réforme au XVI° siècle qui en Slovénie
séduira une petite élite humaniste, " inventeur " de la première
littérature dans cette langue du peuple. A tous ses assauts, Vienne
trouvera la parade, les Turcs furent finalement vaincus(XVIII°), contenus
dans leurs domaine s balkaniques, le catholicisme sauvé par la réforme
engagée au concile de Trente(XVI°). C'est le temps du baroque, des révoltes
paysannes, de la constitution d'un " vrai " état d'Autriche
avec l'impératrice Marie Thérèse, son fils Joseph II, et le chancelier
Kamnitz.
C'est en France, que le destin de L'Europe alors se joua ; la révolution
de 1789, son prolongement dans l'aventure Napoléonienne, faillit briser
l'empire d'Autriche, et fit entrer la Slovénie dans la légende du "
petit caporal ". De 1809 à 1813, quasi tout le pays des slovènes
fit partie de la province illyrienne, avec une partie du pays des croates,
et la côte dalmate. La Slovénie est... française, gouvernée par des
français. Les peuples ainsi " libérés ", apprennent une autre
grammaire politique ; bientôt une autre grammaire tout court. La France,
la révolution, font bouger les choses ; plus rien ne sera tout à fait
pareil dorénavant. En 1813, la Slovénie retourne à l'Autriche, mais
des écrivains commencent à poser des questions tortueuses(romantisques),
dérangeantes sur les origines de la langue slovène, des slovènes, et
enfin malgré la police de Metternich, sur le pourquoi de la domination
" allemande " sur les " slaves ". L'idée slovène
est née quelque part entre l es romantiques, France Prezeren, et la
création des sokols(1869). Les slovènes existaient bien avant,
que naisse l'idée d'une Slovénie, d'un état pour eux, ou tout au moins
d'une forme de reconnaissance, comme l'obtiendront les Hongrois en 1867,
il est vrai après une révolution hongroise particulièrement violente
et pas du tout soutenue par les " slaves ", qui craignaient
encore plus Budapest que Vienne. Idée slovène, idée croate, idée serbe
aussi, c'est un bouillonnement confus d'autant que les Serbes ajoutent
à l'idée, un petit état arraché de haute lutte aux turcs. Très vite
ce petit état se pense, comme l'état " naturel " de tous les
slaves du sud, comme si l'histoire séparée depuis des siècles des slovènes,
des croates, des serbes, ne signifiait rien. Le malentendu " yougoslave
" commence à Belgrade, à Agram(Zagreb) aussi.
A laibach, Trieste, l'Autriche, il faudra bien l'admettre plus tard
quand les peuples auront connu la vraie barbarie(de la guerre par exemple),
domine paternellement ses sujets. Rien avoir avec une " prison
des peuples ", que quelques têtes brûlées par l'idéologie croient
trouver autour d'eux. On rêve déjà de lendemains qui chantent dans la
" grande Serbie ", dans la " grande Croatie " ;
on se saoule de mots, et on part ainsi grisé dans les " grands
" charniers de la première guerre mondiale.
Les Slovènes feront la guerre dans le camp autrichien. Quand en 1915
l'Italie rentre à son tour dans le conflit, la guerre touche le pays
slovène. La vallée de la Sotcha, est en première ligne, et Dieu sait
que ces lignes sont dures. L'Italie ! Voila le nouvel ennemi pour un
petit peuple qui sait le rêve italien sur Trieste/Trst, et sur le karst.
La fidélité des slovènes à la double monarchie(Austro-Hongroise) s'explique
ainsi ; fidélité au pire moment, dans le sang et la boue de la bataille
de kobarid en 1917.
En 1918, c'est la fin de l'empire. Les vainqueurs ont décidé d'avoir
sa peau. Ils l'auront au traité de Saint-Germain, de Trianon. L'état
serbe est dans le camp des vainqueurs, il " accueille "en
son sein, l'idée de liberté des autres peuples slaves du sud, en leur
confisquant progressivement cette liberté. En 1929, c'en est fini du
royaume des serbes, des croates, et des slovènes, c'est le début de
la première Yougoslavie, avec une dictature royale en prime. Les Croates
seront les plus virulents à dénoncer la tromperie. Certains d'entre
eux, en concevront une haine phobique des serbes, qui débouchera plus
tard(1941) sur des horreurs sans nom. Les Slovènes eux, par leur unité
nationale, résistèrent mieux au ressentiment, d'autant que des contentieux
frontaliers avec l'Autriche (Celovec) et avec l'Italie, faisaient bon
an, malan accepter Belgrade. Mais cela bouge tout de même ; en 1939,
Edvard Kardelj écrit " le développement de la question nationale
slovène ", il est communiste et s era le chef des partisans
slovènes.
Hitler depuis 1933, est au pouvoir. Le nazisme menace l'Europe, et particulièrement
l'Europe centrale et orientale. En 1939 la guerre éclate, la Pologne
est écrasée, puis en 1940 la France. Hitler et Staline organisent leur
monde, avec la complicité de beaucoup en Europe de l'Est. En avril 1941
c'est le tour de la Yougoslavie. L'Allemagne, l'Italie, la Bulgarie,
la Hongrie envahissent le pays. C'est la curée ! C'est un désastre aussi.
La Yougoslavie implose ; la Serbie est réduite à rien, son peuple partout
livré aux bouchers ; la Croatie se donne au fascisme oustachi, dont
le programmme se résume par le meurtre des serbes de Krajina, de Bosnie,
du Srem, des juifs aussi. La Macédoine est bulgare, la Voivodine hongroise,
le Monténégro, le Kosovo italien, la Slovénie enfin, est divisée entre
allemands, italiens, et hongrois.
L'occupation ? Le chaos aussi. La résistance serbe, les tchéniks de
Draja Mihailovitch, qui représentent le gouvernement en exil, se lancent
à l'assaut des croates et des musulmans de Bosnie, les oustachis continuent
eux leurs massacres systématiques des serbes. Des morts par centaines
de milliers. De ce chaos, Tito le chef communiste fit le secret de sa
victoire. Qui pouvait parier en 1941, que Tito, rescapé (pourquoi lui
?) Des purges de Staline, contre les communistes yougoslaves (1937),
imposerait à la sortie de la guerre le communisme à la Yougoslavie ?
Bien peu de monde. En proposant aux yougoslaves comme futur la "
fraternité " et " l'unité ", le pardon des crimes, sans
pardonner aux criminels, de brider le rêve assassin de " grande
Serbie " et de " grande Croatie " il gagna. Les peuples
avaient trop peur des vengeances promises à la libération ; Tito étaient
la seule garantie que la punition ne toucherait pas tout le monde, la
" bourgeoisie " peut être , des " traîtres ", bref
les catégories usuelles d'assassinées des pays communistes, mais pas
tous !
La Slovénie de 1941 à 1945, c'est le triste sort d'un pays qui n'existe
plus. Des milliers de slovènes sont " déplacés " en Silésie,
en Allemagne ; les communistes organisent la résistance. Kardelj encore
lui ! La répression est féroce, les communistes aussi ; des slovénes
collaborateurs il y en eut toujours pour la même raison : la peur du
communisme. En 1945 le châtiment sera implacable, disproportionné, comme
tout dans le communisme.
Tito, le grand vainqueur va imposer un communisme, " pur "
et dur spécialement avant 1948. Tous les ingrédiens du grand modèle
soviétique sont là : la peur, la terreur, les purges, l'économie étatisée
(la révolution !), "L' enthousiasme " obligatoire, mais tout
cela dans " l'indépendance ". Tito, véritable " petit
Staline yougoslave " devient même l'élève modèle. Il va plus vite
vers le communisme que l'exige Staline lui-même. Il est trop illuminé
par sa " foi " pour respecter le code d'honneur du système
communiste stalinien. Il veut être son propre " père des peuples
", voire père de tous les peuples de l'Europe du sud-est ! Il oublie
qu'il n'y a q'un père et que ce père est à Moscou. En juin 1948 c'est
la rupture, pour Moscou il devient un démon.
Il résistera, et dans son pays, ce sont les fidèles de Staline qui découvriront
le goulag dalmate, ils y retrouveront leurs propres victimes ! Rejeté
par le camp stalinien, et suspect pour les occidentaux, il inventera
alors, une " troisième voie ", bricolage théorique et économique
que l'on connaîtra sous le nom " d'autogestion.
Les travailleurs seront leurs propres maîtres, disait-on ! Autogestion
à la base, mais pas au sommet de l'état communiste. Toutes les têtes
qui dépassent sont éliminées (Milovan Djilas) par la police politique
(UDBA). Tito devient l'incarnation du juste milieu pour les étrangers
peu regardants, ni à l'est ni à l'ouest, ailleurs... comme ces peuples
eux aussi de plus en plus ailleurs (en occident) à la recherche d'un
travail que le " paradis " socialiste ne pouvait pas leur
donner. Dans les années soixante, la surveillance policière fléchit.
Les peuples se réveillent. Les peuples ! Disons leurs intellectuels
parfois membres du parti communiste et qui commencent ce long travail
de confusion entre le socialisme et le nationalisme. C'est vrai partout
mais surtout en Serbie. Le grand Homme meurt en 1980. On apprendra plus
tard (sur les ruines de Vukovar !) que ce fut le début de la fin de
la Yougoslavie.
Quel autre aurait pu tenir des peuples si différents ? C'était un tyran,
parfois grotesque dans ses villas, ses costumes. Il était aussi celui
qui organisa les partisans, et libéra le pays du nazisme et des tristes
pitres qui crurent bon de les aider. Quel autre résistant aurait pu
faire ce travail ? Aucun, surtout pas les Tchetniks serbes de Mihailovic
qui " libéraient " déjà en massacrant les musulmans de Bosnie.A
peine onze ans plus tard tout l'édifice s'écroula.
La crise économique qui accentua la richesse en Slovénie et en Croatie
et la pauvreté voire le délabrement ailleurs ; crise politique surtout,
car qui pouvait croire à une Yougoslavie " socialiste et fédérative
" où le Kosovo et tout ce qui ne communiait pas dans le "
serbisme " de Slobodan Milosevic, n'aurait pas de place ? A Ljubjana,
la jeunesse bouillonnait autour de la revue Mladina par exemple. Les
communistes slovènes étaient pris entre leur peuple et Milosevic. Ils
choisirent leur peuple. Les marxistes des années soixante ne disaient-ils
pas " le peuple a toujours raison " ?
Huit jours de conflit pour tester la volonté slovène et l'armée yougo-serbe
quitte le territoire. Nous sommes en juin 1991. Pour la première fois
dans l'histoire, les Slovènes ont un état, un état démocratique qui
depuis dix ans tente de s'adapter, sans être trop désenchantés, à la
liberté, à l'économie de marché et à la perspective d'une intégration
à l'Union européenne.
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